JOUR 1 - Vendredi 21 juin 2019

CONFÉRENCE D'OUVERTURE

Danielle Juteau

L’appropriation : un rapport au cœur des dynamiques sociétales
Période de questions

Apports épistémologiques 1 (Présidence : Sophie Bourgault)

Bronwyn Winter

« Les effets théoriques de la colère des opprimées » : Théorie, idéologie, langage » Colette Guillaumin avait caractérisé la « théorie » comme « chasse gardée », et avait souligné que les « minoritaires » s’en méfiaient à juste titre.  Or, quand les « minoritaires » font de la « théorie », à partir de leur propre expérience de l’oppression, elles opèrent ce que Christine Delphy avait appelé « une révolution épistémologique »,,et ce que Guillaumin a appelé par la suite « les effets théoriques de la colère des opprimées ». Malheureusement, ces apports théoriques (et donc politiques) sont récupérés presque aussitôt par les dominants pour mieux les retourner contre les dominées. C’est de cette « révolution » – et de sa récupération – qu’il s’agira dans cette communication, avec une attention particulière portée au langage conceptuel élaboré par Guillaumin, notamment les concepts de sexage et de racisation, ainsi que son travail sur la construction politique de la différence et des minorités. 

Maira Abreu

De l’idéologie raciste au sexage : parcours d’une pensée

Colette Guillaumin écrit depuis la fin des années 1960 des articles sur la race et le racisme et en 1968 elle soutient sa thèse L’idéologie raciste. À cette époque, la « nature spécifique de l’oppression des femmes » n’était pas au centre de ses préoccupations mais n’en était pas absente. Dans sa thèse (1972), elle propose une « extension de l’usage » du concept de racisme pour inclure les rapports entre colonisateurs et colonisés, étrangers et nationaux mais aussi femmes et hommes, parmi d’autres (2002 [1972]) et elle met en évidence des mécanismes communs de naturalisation des races et des sexes. L’objectif de cette communication est de revenir sur l’analyse de l’auteure sur l’oppression des femmes avant la formulation du concept de sexage. Le but est aussi de fournir certains éléments permettant de comprendre le cadre historique et théorique dans lequel ses analyses ont émergé et évolué.

Luisina Bolla et Maria Luisa Femenias

Pour un féminisme pluricentré : les approches critiques de Colette Guillaumin

De récentes enquêtes montrent que le domaine des études sur le genre (fortement influencé par les États-Unis) ne constitue pas un champ de production des connaissances multi-centré (Wöhrer, 2016). Par ailleurs, il existe toujours une division claire entre le centre universitaire et la périphérie qui configure les hégémonies et les zones d’inintelligibilité. Cette communication suit la suggestion de Walter Benjamin d’écrire une « contre-histoire » afin de montrer la manière dont les produits de la connaissance sont fabriqués et diffusés (Fricker, 2007). Ce concept nous aidera à illustrer comment, en Amérique latine, les concepts critiques du féminisme matérialiste, dont ceux de Colette Guillaumin, tissés avec d’autres contributions, sont ignorés. Reconstruire ces généalogies permet de restaurer la pluralité des voix, au profit d’un féminisme qui interroge non seulement son contenu, mais aussi ses pratiques situées

Période de questions

Session II - Apports épistémologiques 2 (Présidence : Myriame Martineau)

Dominique Bourque

Oblitération de la fabrication : d’apports aux études guillaumistes 

Parmi les contributions de la sociologue Colette Guillaumin à l’analyse des rapports sociaux celles relatives aux questions de méthode, qui ont partie prenante avec sa saisie du langage – écrit et parlé, institutionnalisé et de sens commun -, sont plus rarement signalées.

Je m’arrêterai sur trois notions émanant de sa pratique d’analyse de l’idéologie raciste structurantes de ses travaux ultérieurs et qui font surgir les liens inextricables entre les faces mentales et concrètes des rapports de pouvoir, soit : a) le « double mouvement de généralité et de particularité » ; b) « Ego », « médiateur imaginaire de l’organisation sociale » ; c) la « cohérence culturelle de l’ensemble social » majoritaire et minoritaires.  Le dévoilement de l’idéologie naturaliste dans sa forme moderne, que l’on doit à Guillaumin ; celui-là même qui a bouleversé la saisie scientifique du racisme/sexisme est indissociable de ces trois notions au cœur du matérialisme dont elle se revendiquait. Ensemble, elles constituent une contribution inusitée à l’épistémologie des rapports de pouvoir, encore trop peu exploitée, mais également des avenues de recherche non balisées avant elle pour l’étude du langage dans une perspective sociologique ; ce que ma communication entend poser.

Sandrine Charest-Réhel

Penser les « déplacements » dans les rapports sociaux constitutifs des groupes majoritaires et minoritaires à partir de Colette Guillaumin

Dans un contexte marqué par les questions migratoires, de mobilité sociale et de genre, un intérêt grandissant pour la thématique du « déplacement » en sciences sociales se constate. C’est notamment le cas pour les études mobilisant la notion de « transfuge » pour appréhender les « passages » entre classe, sexe et « race ». Or, ces travaux s’inscrivent rarement dans une sociologie matérialiste des rapports de domination telle qu’élaborée par Colette Guillaumin. Pourtant, ce cadre théorique permet de saisir les différents rapports sociaux constitutifs des groupes et des catégories, dans lesquels se constituent les systèmes de marques, et leur inscription dans ou sur les corps – fournissant un socle solide pour étudier ensemble les différents types de « déplacements » sociaux. Cette communication a ainsi pour objectif de montrer le potentiel heuristique du cadre théorique de Guillaumin pour penser les déplacements dans les rapports de pouvoir.

Valeria Ribeiro Corossacz

Enquêter un sujet dominant. L’imbrication de rapports sociaux de race, sexe et classe dans une recherche anthropologique au Brésil

Cette communication illustre comment le travail de Guillaumin offre des outils théoriques et méthodologiques incontournables pour l’analyse des groupes dominants, majoritaires, et des mécanismes de reproduction de l’oppression de race, sexe et classe. Guillaumin a démontré l’importance d’étudier ce qu’elle appelle le Référent, le point caché de tout discours et pratique qui construit la Différence (de sexe, race, classe, etc.). En identifiant ce « centre qui ordonne autour de lui », Guillaumin nous aide à comprendre l’imbrication des différents rapports de pouvoir, appliquée aussi aux groupes majoritaires. Dans une recherche anthropologique menée au Brésil (Rio de Janeiro, 2009-11-12) parmi un groupe d’hommes auto-identifiés comme blancs de classe haute-moyenne, je me suis appuyée sur ce cadre théorique pour analyser la blanchité et la masculinité, en particulier les mécanismes d’occultation du Moi, le ça « va de soi », le silence comme éléments de naturalisation de la condition masculine et blanche.

Yves Bonnardel

De l’appropriation des enfants… à la naturalisation de l’enfance

Colette Guillaumin relie le processus politique d’appropriation d’une classe d’êtres et l’émergence d’une idéologie appréhendant les appropriés comme des êtres de nature, déterminés par cela même qui fonde leur catégorisation (leur sexe, leur race). Me fondant sur des documents historiques, le décryptage des lois et Conventions, ou encore des textes et analyses produits par des jeunes en lutte contre leur condition de mineurs, je montre que les analyses de Guillaumin s’appliquent à « la question de l’enfance » : les enfants étaient appropriés par le père au sein de la famille patriarcale, une appropriation personnelle qui s’est muée ces derniers siècles en une « appropriation sociétale » ; la notion d’enfance qui s’est alors constituée enferme les jeunes dans une « nature » déterminée par leur âge, qui légitime leur appropriation parentale, la contrainte éducative et un statut de mineur qui les prive de droits fondamentaux.
Période de questions

JOUR 2 - Samedi 22 juin 2019

De Marx à Guillaumin : matérialisme et critique de l’économie politique (Présidence : Elsa Galerand)

Leila-Anne Ouitis

Guillaumin, Marx et le trou noir de la reproduction

Si les travaux de Guillaumin suscitèrent des réactions conflictuelles dans les années 70, ils sont aujourd’hui largement utilisés par un marxisme « hétérodoxe ». D’une part pour penser l’appropriation des femmes dans les différents modes de production, d’autre part aussi pour proposer une théorie de la race, qui ne tombe ni dans les écueils des entrepreneurs en racialisation, ni dans le déni normatif du fantasme de l’unité de la classe. Mais c’est alors le cœur même de la théorie marxiste qui pose problème : en effet, il existe chez Marx un impensé fondamental quant à la production et à la reproduction de la force de travail. Le concept génial d’appropriation des corps « machine de travail » pourrait bien s’avérer un outil fondamental pour une théorie de la valeur renouvelée, qui donne sa pleine mesure au genre et à la race.

Jules Falquet

Penser les classes de sexe et l’imbrication des rapports sociaux à partir du concept d’appropriation

Si Marx parle de « division du travail dans l’acte sexuel » et si Engels affirme que les femmes ont constitué historiquement la première classe sociale, différentes féministes matérialistes francophones ont tenté de fonder autrement l’existence des classes de sexe. Delphy dès 1970, dans le cadre du « mode de production domestique », puis Kergoat avec le concept de « division sexuelle du travail », Tabet avec celui de « continuum de l’échange économico-sexuel », Wittig, de « système politique de l’hétérosexualité » et Guillaumin, à travers celui de sexage comme « appropriation physique directe, privée et collective du corps comme machine-à-force de travail ». La présente proposition, placée sur le plan théorique, vise à élucider chacune de ces conceptions, leurs ressemblances et leurs dissonances, en accordant une attention particulière à celle de Guillaumin, qui permet également de penser les rapports de race, l’histoire, et d’articuler différents rapports sociaux.

Emma Jean

Linéaments pour une sociologie historique comparative du sexage

Plusieurs études en sociologie historique ont remis en question l’idée que le capitalisme était fondé sur une main-d’œuvre formellement libre et ont tenté d’intégrer l’esclavage dans leur modèle d’analyse. Si les interactions entre esclavage et genre ont quelquefois été explorées, peu d’attention a encore été portée à cette question sous l’angle de l’appropriation de la classe des femmes par la classe des hommes. Ainsi, l’évaluation du concept de sexage – issu de la sociologie féministe matérialiste de Guillaumin – pour l’analyse du développement capitaliste reste à faire. Quel rôle a joué l’appropriation des femmes dans le développement capitaliste ? À l’aide d’une sociologie historique comparative des rapports de sexage en Inde et en Chine, nous évaluerons comment leurs trajectoires de développement ont été influencées par des rapports de sexages historiquement spécifiques et tenterons de montrer comment ils influencent le développement capitaliste.

Rose-Myrlie Joseph

Utilisation d’une pensée guillaumiste pour comprendre le travail des femmes migrantes
Les concepts de Guillaumin seront utilisés dans le cadre de l’analyse de la migration et du travail des femmes haïtiennes. Je retiendrai les concepts suivants : « Idée de nature », « construction sociale des corps », « état d’outil », « classes de sexe » ainsi que « l’idéel et le matériel ». Ces concepts me permettront d’aborder les rapports sociaux de sexe, de classe, de race, Nord/Sud et urbain/rural, mais aussi comment l’idée de nature explique l’assignation des tâches domestiques et de services aux autres (le care) à certains groupes sociaux, notamment les femmes racisées. Ils me permettront également d’examiner l’hétérogénéité des classes créée par les rapports sociaux, y compris celle des femmes. Enfin, cela me permettra d’articuler les déterminismes sociaux et leurs effets idéologiques voire psychiques, de regarder ce que les rapports sociaux font de nous et « ce que nous faisons de ce qu’ils ont fait de nous ».
Période de questions

Corps et systèmes de marque (Présidence : Salima Amari)

Nehara Feldman

Le corps des femmes : un enjeu au sein des rapports sociaux de sexe

Depuis 2002, Nehara Feldman étudie les rapports sociaux de sexe au sein d’une société marquée par la mobilité géographique. Il s’agit d’un milieu social dont les principaux lieux actuels de résidence sont un village dans la région de Kayes (Mali), Bamako et la région parisienne. En m’appuyant sur la typologie du travail social sur le corps proposée par Colette Guillaumin dans son article intitulé « Le corps construit » (Guillaumin, 1992), je propose d’examiner les particularités du travail social sur le corps des femmes : comment le corps des femmes est-il construit comme corps ? Comment interpréter sociologiquement le fait que dans le milieu étudié ce travail constitue « une affaire de femmes » ? Cette délégation du travail social sur le corps des femmes aux femmes constitue-t-elle uniquement un moyen supplémentaire d’ancrer leur aliénation, ou offre-t-elle paradoxalement une possibilité de parvenir à s’approprier son corps ?

Sandrine Ricci

Dénaturaliser la domination : réflexion avec Colette Guillaumin et à partir des discours réfutant l’idée de culture du viol

L’objet de cette communication est de présenter une réflexion critique issue de ma thèse, à propos de la réfutation de l’idée de culture du viol qui a pris place dans le discours social entourant la succession de « scandales sexuels » survenus ces dernières années. Non sans lien avec l’argumentaire masculiniste, certaines personnalités médiatiques invoquent l’existence de « comportements spontanés des garçons » (Lysianne Gagnon dans le quotidien La Presse le 29 octobre 2016). Différents aspects de l’argumentaire antiféministe, réactionnaire ou essentialiste généralement mis de l’avant seront exposés en mobilisant les travaux de Colette Guillaumin. Ceux-ci s’avèrent fort utiles pour mettre au jour le rôle et les conséquences de certaines idées qui, s’inscrivant dans le versant idéologico-discursif du sexage, tendent à réifier l’objet approprié pour mieux lui assigner son rôle, et plus largement, pour « soumettre et apeurer » la classe des femmes.

Axelle Playoust-Braure

Du sexage à l’élevage. Éléments pour une analyse matérialiste des rapports sociaux d’espèce

C’est dans la lignée des notions d’esclavage et de servage que Colette Guillaumin a proposé le néologisme de sexage. En nous demandant ce que signifie sociologiquement être élevé-e, nous verrons en quoi l’élevage en tant que rapport social constitue également un procès d’appropriation de corps socialement construits et contraints, en l’occurrence animalisés. Les animaux élevés forment un groupe minoritaire au sens défendu par Colette Guillaumin (1985) : placés dans une infériorité « socio-politique, coutumière et juridique », ils subissent une situation de moindre pouvoir, de non-disposition d’eux-mêmes. À contrepied de l’idée de Nature, ce regard matérialiste nous permettra de voir en quoi humanité et animalité sont des catégories constituées et reproduites par des rapports sociaux dont l’historicité peut être retracée et l’arbitraire contesté. Il s’agira dès lors de contribuer à l’analyse de l’imbrication des rapports de pouvoir en y ajoutant une dimension jusque-là largement négligée, celle de l’espèce.

Sonia Alimi

Pour une analyse décoloniale des marquages des corps au regard du sexisme, racisme et capacitisme. L’apport réflexif de Colette Guillaumin dans les Disabality Critical Race theories

Plusieurs auteur-e-s (Bell, 2011 ; Ben-Moshe, 2013 ; Dea 2013 ; Magana, 2014 ; Erevelles, 2002 ; Meekosha 2006) analysant la dialectique des différences au travers du capacitisme, prennent largement appui sur la réflexion des systèmes de marque de Colette Guillaumin. Partant notamment d’une méthodologie historique matérialiste, ces auteur-e-s démontrent en quoi l’« ideology of disability » capitaliste (Erevelles, 1996 : 525) – en structurant les discours de la race, de la classe et du genre – viendrait assoir une économie politique où le système de marque capacitiste serait l’idéologie sous-jacente ayant permis de justifier la classification des corps/des êtres et leurs oppressions. C’est donc à partir de différentes réflexions issues des Disability Critical Race Théories, et leurs liens intrinsèques avec les réflexions de Colette Guillaumin que nous proposons une analyse décoloniale des systèmes de marquages : sexisme, racisme, capacitisme.
Période de questions

Le prisme de « la sexualité » à l’épreuve du sexage (Présidence : Bronwyn Winter)

Salima Amari

L’appropriation privée des lesbiennes dans un contexte d’imbrication des rapports de pouvoir

En s’appuyant sur la notion de « sexage » de Colette Guillaumin, la communication a pour objectif de (re)penser le système d’appropriation privée des femmes et d’en étudier l’expression matérielle et symbolique chez les lesbiennes d’origine maghrébine en France. En m’appuyant sur les différentes manières de concevoir et de vivre leur rapport à la famille, je mettrai en évidence différentes modalités d’appropriation privée, ce qui me permettra d’articuler les statuts de femme et/ou de lesbienne endossés par les enquêtées.

Parce que l’appropriation privée ne se limite pas à « l’épouse », mais se prolonge à « la fille », à « la mère », à « la sœur » et à d’autres membres féminins qui composent l’institution familiale et qui participent également à l’économie domestique (Guillaumin, 1978), la communication propose une analyse basée sur les relations des lesbiennes à leurs familles dans un contexte d’imbrication des rapports de pouvoir.

Félix L. Deslauriers

Vers un constructivisme matérialiste dans les études gaies et lesbiennes ? Apports de Colette Guillaumin

Dans les études gaies, lesbiennes ou queer, le paradigme « constructiviste » domine depuis les années 1980. On y traite la distinction entre « homosexualité » et « hétérosexualité » comme une construction sociale et non comme un fait de nature. L’œuvre de Michel Foucault (1976) constitue la référence centrale de ces travaux. L’influence de Colette Guillaumin sur la dénaturalisation des catégories de sexe y est plus rarement reconnue. Pourtant, dès 1972 dans L’idéologie raciste, Guillaumin mentionnait « les homosexuels » aux côtés d’autres catégories minoritaires naturalisées qu’elle appelait à penser en termes de rapports sociaux. Ses travaux subséquents ont d’ailleurs fourni de précieux outils en ce sens. Cette communication retrace ses interventions sur la question de l’hétérosexualité, de l’homosexualité et du lesbianisme. Il s’agira d’en souligner l’actualité dans un contexte où plusieurs voix souhaitent opérer un tournant matérialiste au sein du paradigme constructiviste sur le genre et la sexualité.

Laurence Morin

Les apports de la théorie du sexage pour penser les représentations de l’hétérosexualité à l’ère de la démocratie sexuelle

Formulés au nom du progressisme, plusieurs discours contemporains sur la sexualité la représentent comme un espace d’émancipation dissocié des rapports de pouvoir. Cette vision est portée par la presse magazine, à travers l’hypothèse d’une « démocratisation » de la sexualité. Il s’agira de présenter les résultats d’une recherche portant sur les constructions discursives socio-sexuées de la sexualité dans ces magazines, en puisant dans les conceptualisations du sexage de Guillaumin. À travers ce concept, elle affirme qu’« idéologiquement, les femmes SONT le sexe ». La sexualité féminine est ainsi rendue différente de celle des hommes, une ressource naturelle contenue dans le corps même des femmes. La communication vise : 1. Actualiser ce concept à la période contemporaine marquée par l’idée d’une sexualité démocratisée, 2. Interroger les rapports de l’idéel au matériel des régimes de représentation de l’hétérosexualité et 3. Réfléchir les statuts de la sexualité et son articulation aux différents rapports sociaux.

Catherine Weiss

Entre le travail et le sexe : les apports épistémologiques de Colette Guillaumin au débat autour de la prostitution

Dans cette présentation, je m’appuierai sur le travail de Colette Guillaumin pour mettre en lumière les enjeux épistémologiques autour d’un sujet qui divise les féministes : la prostitution. Pour ce faire, j’analyserai les recherches empiriques sur la migration pour le service domestique et/ou la prostitution, pour comprendre comment le lien entre la prostitution et le service domestique est compris et théorisé par des féministes de différents courants. Je me focaliserai notamment sur la dichotomie entre les « pro-travail-du-sexe », qui analysent la prostitution/travail du sexe comme une forme de travail, et les « abolitionnistes », qui l’analysent comme une forme d’oppression patriarcale. Mon hypothèse est que les concepts de Guillaumin et du féminisme matérialiste nous donnent des outils pour dépasser cette dichotomie, car ils prennent en compte à la fois le travail domestique et l’obligation sexuelle des femmes envers les hommes.
Période de questions

Table-Ronde (avec Line Chamberland, Denise Veilleux, Nicole Lacelle et Louise Turcotte)
« Comment la pensée de Colette Guillaumin a-t-elle influencé le militantisme des lesbiennes au Québec et en Ontario francophone? »

Des mouvements de lesbiennes émergent dans les années 1970 en Amérique du Nord et dans plusieurs pays européens, à la fois parallèles et reliés aux mouvements féministes et aux mouvements de libération gaie. Au-delà des convergences qui caractérisent ce qu’on peut appeler globalement le lesbianisme politique (encore que ce terme lui-même ne fasse pas consensus), les formes prises par ces regroupements, leurs idéologies et les alliances ou ruptures avec d’autres mouvements sociaux varient selon les contextes locaux. À Montréal, le mouvement politique des lesbiennes a connu son apogée dans les années 1980 (Demczuk et Remiggi, 1998). Alors que les écrits d’Adrienne Rich et de Monique Wittig sont le plus souvent mentionnés comme les textes fondateurs des clivages idéologiques au sein de ce mouvement, les écrits de Guillaumin sur l’appropriation des femmes faisaient eux aussi l’objet de lectures attentives et de débats intenses.

Cet atelier rassemble, sous forme de table ronde, quatre actrices-témoins de cette époque auxquelles il sera demandé d’évoquer le contexte de leur engagement politique, leur réception des écrits de Guillaumin et l’influence politique de sa pensée sur leur vision des luttes féministes, des luttes lesbiennes et de leur articulation : Louise Turcotte, militante lesbienne radicale, Nicole Lacelle, militante lesbienne, Denise Veilleux, militante lesbienne, et Line Chamberland, militante lesbienne-féministe et sociologue. La table ronde sera animée par Line Chamberland. Elle sera suivie d’une période d’échange avec la salle.
Période de questions

JOUR 3 - Dimanche 23 juin 2019

Subjectivation (Présidence : Félix L. Deslauriers)

Sara Garbagnoli

“Les obsédé.e.s de la race et du sexe”. Penser les savoirs minoritaires avec Colette Guillaumin

Les analyses qui thématisent de manière antinaturaliste les rapports sociaux de sexe, de sexualité et de race, ont fait l’objet d’une série d’attaques médiatiques très virulentes. La pensée de Guillaumin puisse nous aider à produire une compréhension synchronique et diachronique de cette offensive car, d’un côté, Guillaumin a elle-même réfléchis aux résistances que soulève de manière génétique et structurelle ce qu’elle a appelé  « l’entrée des minoritaires dans la théorie » et, de l’autre côté, car cette offensive cible des intellectuel.le.s, des militant.e.s, des luttes et des analyses qui, dans leur diversité de positionnement théorique ou politique, s’appuient sur des définitions sociologiques que Guillaumin a grandement contribué à forger (« groupe minoritaire », « sexe », « race », « racisation »).

Isabelle Boisclair

S’appartenir. Lire avec Colette Guillaumin

Dans cette communication, je présenterai une grille de lecture qui vise à déterminer le statut du personnage féminin, ce statut étant pensé en termes d’autonomie et ou d’hétéronomie, selon que le personnage féminin est pensé comme sujet à part entière ou objet, instrument soumis à la loi des hommes. Cette grille d’analyse, largement inspirée des travaux de Colette Guillaumin, tient compte de plusieurs lieux diégétiques et de divers traits formels : l’identité du personnage, les lieux, la sexualité, l’agentivité diégétique, l’agentivité textuelle et, éventuellement, sa production textuelle. Elle permet de révéler les obstacles à la possibilité de penser le personnage féminin comme un sujet autonome.

Sabine Lamour

Poto-mitan : Archétypes, rêves et représentation de soi

En général, quand on parle du poto-mitan en Haïti (femmes piliers assignées à la prise en charge du groupe familial), la dimension matérielle de cette figure apparaît évidente. Pourtant, suivant l’analyse de Colette Guillaumin sur « le système des marques » (Pluriel, 11 :1977), il est possible de rappeler l’iconographie qui accompagne sa production et les archétypes qui valident sa reproduction, mais aussi de conduire une analyse des rêves des femmes pour pouvoir appréhender leur production cognitive de cette réalité concrète. En mettant en relation les déterminants immatériels des rapports de sexe et le « consentement » supposé (Mathieu, 1991) des Haïtiennes aux assignations familiales et sociales dont elles sont l’objet, je montrerai le phénomène de double conscience qui portent les femmes à se reconnaître « poto-mitan » alors qu’elles rejettent le poids des responsabilités que requièrent leurs positions dans leur vie au quotidien.

Diane Lamoureux

La notion de sexage et les débats féministes contemporains
Un des apports théoriques majeurs de Colette Guillaumin a été la notion de sexage. Je me propose de l’analyser sous trois angles. Premièrement, les articulations de la notion de sexage avec les analyses du racisme, plus particulièrement en ce qui concerne les processus de naturalisation de groupes sociaux. Deuxièmement, le rapport de sexage cherche à décrire le rapport social (de même que le marquage des corps) qui se noue entre les sexes et repose sur l’appropriation collective des femmes, une appropriation qui se redouble de façon individuelle dans le dispositif de l’hétérosexualité. Troisièmement, l’analyse matérialiste des rapports sociaux à laquelle elle nous incite peut très bien se jumeler aux théories contemporaines de la localisation sociale, celles qui ne raisonnent pas en termes d’identité ou de différence, mais plutôt celles qui insistent sur l’agentivité des sujets sociaux pour transformer les rapports sociaux dans lesquels elles et ils sont insérées.
Période de questions

Arts et littératures (Présidence : Dominique Bourque)

Arts et littératures (Présidence : Dominique Bourque)

Myriame Martineau

Apport de Colette Guillaumin pour penser les minoritaires et les rapports de pouvoir : le cas des conteuses, des conteur.euse.s autochtones et des minorités ethniques au Québec

Il s’agit de cerner les rapports sociaux de sexe et ethniques dans le « monde » du conte au Québec. À partir du concept de minoritaires/majoritaire, j’expliciterai le marquage de ces artistes, perçu.e.s comme « non-professionnel.le.s » par certain.e.s diffuseur.e.s ou assigné.e.s socialement à des stéréotypes de « conteuses pour enfants ou de la diversité culturelle ». Je réfléchirai sur le rapport de l’idéel au matériel et de l’importance du langage (Juteau, 1981, 2015 ; Michard et Ribéry, 2008 ; Martineau, 2016 ; Martineau et Hocine, 2016), qui se concrétisent dans cette parole portée par les minoritaires. Je soulignerai les « dénis » de scène observés pour les femmes, au niveau de la reconnaissance de leur travail et dans ce qu’elles disent de la société à travers leurs contes. Je donnerai certains résultats de nos recherches quant à la discrimination vécue par ces conteur.euse.s, dans le prolongement de l’apport de Guillaumin (1972).

Marie-Claude Garneau

Aliénation dans le travail, néolibéralisme et codes du genre : J’accuse d’Annick Lefebvre à l’aune de la pensée de Guillaumin

« Le corps est un réservoir de force de travail, et c’est en tant que tel qu’il est approprié » soutenait Guillaumin, 1978. Partant de ce postulat, nous le réfléchirons sur le terrain des études théâtrales en convoquant la pièce J’accuse, de l’auteure québécoise Annick Lefebvre. Nous émettrons des hypothèses reliant pensée matérialiste et représentations de la parole des femmes au théâtre, particulièrement à partir de la mise en récit de leur aliénation dans le travail à l’ère néolibérale. Par une analyse du discours théâtral, nous questionnerons les rapports qu’entretiennent les personnages féminins de J’accuse face au monde du travail. Nous discuterons de la portée politique d’une telle prise de parole dans la sphère théâtrale et de la manière dont ces représentations peuvent nourrir une prise de conscience collective. Nous espérons contribuer à l’actualisation de la pensée de Guillaumin à partir des représentations des femmes et des féminismes au théâtre.

Émile Bordeleau-Pitre

Repenser sociologiquement l’avant-garde artistique

Dans L’idéologie raciste, Colette Guillaumin dénonce la négation de la présence du racisme dans l’œuvre de Gobineau. « La timidité de notre conscience nous détourne parfois de reconnaître le racisme lorsqu’il est élégant et sensible », amenant à des « confusions méthodologiques » et « pétitions métaphysiques » (1968, 47). Il n’est pas rare de faire face à des « confusions » similaires lorsqu’il s’agit de penser le concept d’avant-garde esthétique : ses origines anarchistes ont teinté bien des lectures contemporaines, qui tendent à en faire des mouvements révolutionnaires de gauche. Dans ma communication, je montre la manière dont la pensée de Guillaumin permet de repenser la théorie de l’avant-garde à partir d’une perspective sociologique et matérialiste. Réinvestissant la théorie de l’avant-garde en fonction des rapports de domination qui se jouent dans une multitude de champs, je mets en lumière la manière dont l’avant et l’arrière-garde peuvent s’inscrire dans un continuum.

Mylène Charon

Théoriser en guillauministe la revendication « Blak » des créatrices aborigènes australiennes contemporaines

Depuis sa première utilisation en 1991 par Destiny Deacon, la catégorie « blak » n’a de cesse d’être convoquée par les artistes et autrices australiennes d’ascendance aborigène. 

Des arts vivants et visuels à la littérature, cette revendication identitaire irrigue toutes les disciplines artistiques. Elle apparait comme une qualification préférée par les artistes indigènes australiennes à celle d’aborigène. Comment, en opposition à l’Aborigénalité, la catégorie « blak » se donne-t-elle comme une auto-représentation ? Quel est le potentiel libérateur de cette revendication, au-delà du décalage du Standard English ? Peut-on parler d’un mouvement « blak » ou encore d’un « blak feminism » ? Dans une perspective comparatiste, cette communication analysera la revendication « blak » à travers les arts contemporains australiens aborigènes à partir des travaux de Guillaumin. Elle examinera comment, en retour, le contexte situé de l’Australie post-coloniale permet de cerner les apports et les limites de 

ses concepts.
Période de questions
 

Les savoirs en question (éthologie, droit, écologie) (Présidence : Sandrine Charest-Réhel)

Les savoirs en question (éthologie, droit, écologie) (Présidence : Sandrine Charest-Réhel)

Julien Vitores

Sexe, genre et animaux du zoo. Comment « l’idée de Nature » vient-elle aux enfants ?

À partir d’une enquête réalisée par observation au sein d’un zoo, et par la passation d’un questionnaire adressé aux parents en sortie de visite, nous analyserons la manière dont la sortie au zoo fournit l’occasion d’un apprentissage aux jeunes enfants de l’existence de différences sexuées « naturelles ». Il s’agira d’abord de montrer que les filles et les garçons ont tendance à ne pas apprécier les mêmes animaux au sein du zoo. Cette appréhension différenciée des animaux repose sur une structuration genrée de l’expression légitime des émotions, qui consolide les fondements patriarcaux du « sexage » tel que décrit par Colette Guillaumin. 

Dans le sillage de ses analyses critiques des savoirs éthologiques et de leur usage social, nous montrerons ensuite que la référence au sexe des animaux (au sein d’une même espèce), à travers l’opposition entre femelles-mères et mâles dominants, concourt à naturaliser les rapports sociaux de sexe.

Marie-Neige Laperrière

Les apports de Colette Guillaumin pour une théorisation critique du droit du logement en droit civil québécois

Cette présentation souhaite démontrer comment l’analyse de Guillaumin est utile pour des juristes. En effet, en parlant de la race et du sexe comme « catégories imaginaires juridiquement entérinées », Guillaumin dénonce l’intégration de l’idéologie naturaliste dans la structure du droit étatique et expose son rôle dans la construction des catégories sociales. 

Plus spécifiquement, à partir du concept d’« appropriation de la classe des femmes », il devient pertinent de revoir le droit du logement tel que construit en droit civil. Plus largement, nous défendons la thèse que le droit civil québécois valide et rend légitime un système d’appropriation de la classe des femmes. Cette analyse permet de revisiter plusieurs fondements du droit civil, notamment celui de consentement libre et éclairé à la base du rapport contractuel. Les analyses de Guillaumin permettent d’exposer que les femmes comme classe appropriée se retrouvent dans une position structurellement incapacitante pour consentir.

Malvina (diwa) Lecherpy Jeffray

Les pratiques écologiques aux prismes de l’idée de nature : des injonctions sociales impactant les femmes

L’usage du concept d’idée de nature, tel que l’a théorisé Colette Guillaumin, permet d’appréhender les sujets d’actualité et d’éclairer des zones d’ombre pouvant porter atteinte à l’égalité femmes-hommes. En s’appuyant sur l’écoféminisme matérialiste (D’Eaubonne Françoise, 1978) et en adaptant une typologie élaborée en 2007 par Nicky Le Feuvre et Cécile Guillaume, cette étude montre, de manière non exhaustive, ce que des pratiques écologiques au quotidien font à l’idée de nature portant sur des femmes habitant en France et inscrites dans une démarche environnementale. Ainsi, en questionnant l’impact de ces pratiques au regard du travail domestique et de son partage, des solidarités de classe, de l’hétéronormativité, des représentations genrées ou encore de l’accès aux connaissances et aux mobilités, l’étude montre l’importance des modes et choix de vie sur les processus de (dé)naturalisation.

Francine Descarries

nfluence de la pensée de Guillaumin au Québec tout particulièrement sur les travaux des étudiantes à l’UQAM

Aujourd’hui comme hier, les études féministes logent à plusieurs enseignes et leur grammaire se déploie sur un continuum dont les éléments portent l’empreinte des filiations intellectuelles et des enjeux sociopolitiques des théoriciennes qui en ont marqué le développement. L’une des premières, Colette Guillaumin nous a offert les mots pour penser les raisons profondes de l’appropriation individuelle et collective des femmes et, plus précisément, de la classe des femmes. Son apport, passé et actuel, à l’enseignement féministe est considérable au regard de son importante contribution au développement d’un vocabulaire conceptuel propre aux études féministes qui permet d’appréhender l’oppression spécifique des femmes, d’en débusquer les fondements naturalistes et de la situer dans les temps et les espaces.
Période de questions

Bilan et discussion sur les suites